C’est à un véritable tremblement de terre que la planète automobile a fait face lundi. Une secousse ponctuée de violentes répliques qui dépassent de loin la graduation de l’échelle de Richter et qui a en tout cas poussé Martin Winterkorn, le PDG opérationnel du groupe Volkswagen, à la démission ce mercredi soir. Or, il faut remettre les choses dans leur contexte car cette affaire est surtout la chronique d’un scandale annoncé. Car Volkswagen savait depuis presque un an.
Prévenu plusieurs fois
La révélation du trucage par l’ONG International Council on Clean Transportation (ICCT) et l'Agence de protection de l'environnement californienne (Carb) a été le fruit d’une longue enquête qui a débuté à l’été 2014. À cette époque déjà, Volkswagen avait été interpellé pour fournir à l’EPA (Agence de Protection pour l’Environnement américaine) des explications sur des écarts mesurés. Le constructeur avait alors laconiquement expliqué que les mauvais résultats étaient le fait de conditions d’utilisation anormales. En décembre 2014, Volkswagen rappelle pourtant de sa propre initiative 500.000 voitures pour traiter ces questions d’émissions. En mai 2015, de nouveaux tests sont effectués par l’EPA. Ils mettent en exergue que les améliorations apportées par Volkswagen à ses moteurs 2 litres TDI sont très limitées et que les raisons invoquées par Volkswagen – les conditions anormales d’utilisation – ne constituent pas une explication suffisante pour comprendre les écarts relevés. Durant l’été 2015, l’EPA prévient Volkswagen qu’elle n’homologuera pas pour son marché les véhicules en 2016, pas tant en tous cas tant que la lumière n’est pas faite sur ces distorsions de mesures. Ce n’est que le 3 septembre que Volkswagen admet avoir développé un logiciel intelligent pour gruger les résultats des tests antipollution. Le lundi 18 septembre, l’EPA rendait son enquête publique.
Arrogance
Volkswagen a agit délibérément. Et c’est ce qui rend cette affaire plus grave encore. L’entreprise a menti tout au long de l’enquête américaine pour passer entre les mailles du filet. Car le fait était que ses moteurs TDI étaient mal nés, qu’ils étaient conceptuellement déficients. Et qu’il a donc fallu trouver rapidement une béquille, ici, une parade électronique pour les rendre vendables. Voilà une démarche étonnante de la part d’un constructeur qui a toujours mis en avant sa fiabilité et son honnêteté vis-à-vis de ses clients, comme dans ses publicités. L’affaire révèle en tous cas un comportement arrogant, voire dénigrant. Non seulement vis-à-vis des organes de contrôle qui, il est vrai, ont pourtant eux-mêmes mis en place ces systèmes irréalistes de normes antipollution, mais aussi face au public qui respire directement les émanations 40 fois supérieures à ce qui est toléré. Or – attention, on en parle pas de CO2, mais bien d’agents polluants ici tels que des NOx – des NOx qui, rappelons-le, limitent la fixation de l’oxygène sur l’hémoglobine (monoxyde d’azote), fragilisent la muqueuse pulmonaire, surtout chez les enfants et contribuent à l’acidification des sols suite à leur transformation dans l’atmosphère en acide nitrique. L’affaire Volkswagen ou « Dieselgate » est un scandale sanitaire et rien d’autre.
Deux poids, deux mesures ?
Ce qui ne rend pas la chose plus acceptable, bien au contraire. Mais elle nous amène aussi logiquement à nous poser la question de la déontologie de la justice américaine et de sa façon de procéder, plus dure semble-t-il avec des entreprises étrangères qu’avec les siennes. La preuve ? GM vient d’être condamné à 900 millions de dollars d’amende pour un défaut de direction volontairement caché et qui a provoqué la mort de 124 personnes et blessé 275 autres gravement. Voilà qui donne à réfléchir alors que cette même justice s’apprête à exiger plusieurs milliards de Volkswagen pour une affaire qui n’a pas encore coûté une seule vie humaine – même si on peut toutefois supposer que ce comportement entraînera des problèmes de santé chez certains, donc peut-être des morts. Les Américains seraient donc plus durs avec les autres qu’avec les leurs ? Deux poids, deux mesures, franchement, ce ne serait pas la première fois, même s’il faut concéder qu’il y avait une intention chez Volkswagen qu’il n’y avait pas chez GM.
Saine compétitivité ?
L’affaire Volkswagen doit aussi se comprendre sous l’angle de la compétitivité que l’on nous dit toujours saine car elle stimule l’innovation. Certes, la compétitivité a du bon. Sauf peut-être quand elle se transforme en compétition tout en haut de l’échelle et où tous les coups sont permis pour s’imposer. Manifestement, Volkswagen a voulu cette course à la première marche du podium. Mais il a tenté le coup sur un sol trop glissant. À peine le pied posé, il a dégringolé. À l’heure actuelle, on ne sait pas encore si d’autres constructeurs ont recouru aux mêmes méthodes condamnables. Certains affirment qu’ils sont totalement vierges. Ce qui reste à démontrer. Mercedes et BMW ont démenti utiliser ce genre de procédé de même que les constructeurs français qui n’ont pas manqué de sauter sur l’occasion pour dire qu’ils avaient été les premiers à recourir aux filtres à particules pour leurs véhicules. Voilà comment transformer un grand drame en bon petit coup de pub. Ce qui démontre par ailleurs que les autres sont toujours prêts à bondir et de profiter de la chute d’un concurrent. Les loups se mangent bel et bien entre eux.
Trop grand, trop vite
Les yeux plus grands que le ventre : c’est exactement le comportement que Volkswagen a eu. Et c’est sans doute de cette façon que l’entreprise s’est étouffée lundi dernier. Car le constructeur a voulu cumuler. Il est devenu cet été le premier du monde avec plus de 5 millions de voitures produites sur les 6 premiers mois, un objectif atteint 3 ans plus tôt que prévu tandis que les patrons ont aussi privilégié le chiffre d'affaires à la rentabilité. Au premier semestre 2015, la marge d'exploitation de Volkswagen a ainsi atteint 2,7 %, un résultat médiocre et même largement inférieur aux chiffres de PSA (5 %), Ford (6 %), GM (6,7 %) ou encore Toyota qui est à 10,1 %... Bref, Volkswagen a sacrifié ses revenus pour la position de leader qui ne signifie finalement pas grand chose. Mauvaise idée donc et d’autant plus que Volkswagen a joué le tout pour le tout sur certains marchés, notamment le marché américain sur lequel il n’est jamais parvenu à percer faute de grands SUV. Pour compenser cet échec, le constructeur avait du coup choisi une autre voie : celle du Diesel propre. Là, c’est raté. Volkswagen a voulu grandir vite, mais beaucoup trop vite. Pour grossir coûte que coûte, il a fait d’immenses sacrifices qu’il va aujourd’hui payer très cher.
Le « made in Germany » mis à mal
Cela dit, Volkswagen n’est pas seul dans la tourmente. Cette affaire entraîne en effet toute l’industrie allemande qui, pour beaucoup dans le monde, représentait un idéal. Ulf Poschardt, éditorialiste au journal Die Welt indiquait d’ailleurs « les gens de Wolfsburg représentaient un idéal de l'ingénierie allemande. Cette image est égratignée et cabossée. Au minimum. » Mais elle s’en remettra. Car qui se souvient encore des pots de vins versés par la Deutsche Telekom pour ravir le marché macédonien de la téléphonie mobile. Ou de Daimler qui avait dû payer 180 millions de dollars à la justice américaine pour mettre fin à une enquête concernant des accusations de corruption. Ou encore de Siemens qui a versé en 2008 près de 1 milliard d'euros pour avoir recouru l’existence de caisses noires en Argentine, au Bangladesh, en Irak et au Venezuela. Pas grand monde malheureusement…
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