La zone de basses émissions wallonne, qui entend faire sortir du parc automobile les véhicules les plus polluants, se concrétisera-t-elle un jour ? De récentes déclarations émanant du cabinet de la ministre de l’Environnement de la Région wallonne, l’Écolo Céline Tellier, permettent d’en douter. Et rien ne semble devoir remplacer ce projet, certes ambitieux, mais sans doute irréaliste. La zone de basses émissions wallonne est, toutes proportions gardées, comme le monstre du Loch Ness, qui apparaît et disparaît au gré des législatures. In fine, les premiers concernés, c’est-à-dire les citoyens devant se déplacer en automobile sur le territoire wallon, y perdent leur latin et, surtout, vivent dans l’angoisse qu’engendre l’incertitude. Vont-ils pouvoir continuer à utiliser leur « ancienne » voiture ? Dans quelles conditions ? Vont-ils devoir s’en séparer ? Autant de questions fondamentales pour le quotidien du citoyen qui, aujourd’hui, ne trouvent pas de réponses claires et définitives.
Promulgué le 17 janvier 2019, le décret « circulation » ou « zone de basses émissions » (ZBE) devait être mis en place à partir du 1ᵉʳ janvier 2023. Conçu à l’initiative de Carlo Di Antonio (CdH, aujourd’hui Les Engagés), le projet devait faire progressivement sortir du parc automobile wallon les véhicules personnels – catégorie M1 – correspondant aux normes Euro 0, Euro 1, 2, 3, 4 et ainsi de suite. En l’état, le décret prévoyait ainsi d’interdire par exemple les Euro 4 en Wallonie à partir du 1er janvier 2026. Ce qui, en pratique et selon la fédération Traxio, revient à éliminer 24% du parc automobile wallon ! On comprend l’angoisse de certains dans un contexte de crise du pouvoir d’achat et d’incertitudes économiques…
Compensations et dérogations
En contrepartie de cette élimination à grande échelle, des compensations financières devaient être mises en place pour les citoyens défavorisés étant obligés de changer de véhicule. Des dérogations pour les véhicules de secours, des forces de l’ordre ou militaires étaient prévues, ainsi que pour tout véhicule personnel, incluant les ancêtres de plus de 30 ans, roulant moins de 3.000 km par an. Cependant, quelques mois plus tard, le 13 septembre 2019, changement de majorité en Région wallonne : le gouvernement MR-cdH cède la place à la coalition PS-MR-Écolo et lui refile la patate chaude du décret ZBE. Début novembre 2022, soit deux mois avant la mise en application du décret, la ministre wallonne de l’Environnement, Céline Tellier, annonçait son report de deux ans, soit à janvier 2025, prétextant les difficultés économiques de la population causées par l’inflation. Finalement, à moins de cent jours des élections fédérales, régionales et européennes du 9 juin 2024, il
apparaît que… rien n’a été fait pour transformer la Wallonie en zone de basses émissions. Car un décret ne vaut rien sans ses arrêtés d’exécution. Or, jusqu’ici, il semblerait qu’on soit plutôt en zone de basse écriture : au niveau du gouvernement wallon, en place depuis bientôt cinq ans, aucun arrêté d’exécution du décret « circulation » n’a été rédigé.
Comment contrôler ?
Certes, l’application du décret du 17 janvier 2019 bute sur de nombreux écueils. À la base, qui va contrôler l’interdiction de circulation des vieux véhicules polluants ? Un territoire comme la Wallonie n’est pas comme la Région bruxelloise, les villes d’Anvers ou de Gand, truffées de caméras et de radars. Les caméras de reconnaissance des plaques d'immatriculation (ANPR, Automatic Number Plate Recognition), utilisées notamment pour le péage des poids lourds ? Elles sont positionnées sur les autoroutes et quelques grands axes routiers, pas sur le réseau secondaire. Le décret prévoit une exemption pour les petits rouleurs qui parcourent moins de 3.000 km par an, pour faire les courses, aller au cinéma ou au concert. Comment vérifier cette exception à la règle ? Le contrôle technique ? Sauf que la norme ne s’applique que sur le territoire wallon, et n’empêche aucunement de circuler ailleurs en Belgique – hors Bruxelles, Anvers et Gand, restrictives au niveau émissions -, en France ou dans tout autre pays. Et puis, surtout, dans le cadre du décret ZBE, une partie importante de la population wallonne – la moins favorisée le plus souvent – devrait remplacer son véhicule âgé, devenu illégal. « Il est difficile de demander aux gens de changer de véhicule sans les accompagner dans leur démarche », estime Julien Matagne. Pour le député wallon (Les Engagés), connaisseur du secteur de la mobilité, « jamais personne ne va se risquer à appliquer une telle mesure tant qu’il n’y aura pas la possibilité d’offrir des primes ». Or, la Région wallonne n’a plus un sou vaillant, et certainement pas les moyens de proposer une prime à la casse d’une telle ampleur.
Les temps changent
S’il n’a pas travaillé sur l’application d’un décret « zone de basses émissions » hérité de la majorité précédente, le gouvernement actuel a préféré se focaliser sur la qualité de l’air régionale. Au cabinet de la ministre de l’Environnement, Céline Tellier, on part du fait que, déjà, « la qualité de l’air s’améliore globalement en Wallonie depuis 2019 ». Soit depuis l’arrivée providentielle des Écolos ? Non, bien sûr. Les hypothèses envisagées sont plutôt « le déclin de l’industrie lourde, la verdurisation progressive du parc automobile ou encore l’augmentation du télétravail ». Par ailleurs, divers travaux et études aboutissent à la conclusion que « les dépassements des valeurs limites européennes en matière de qualité de l’air sont souvent très localisés à l’échelle des rues, en particulier dans les plus grandes villes ou agglomérations wallonnes », note le cabinet Tellier. En conséquence, « les travaux en cours permettront d’évaluer la pertinence ou non d’une zone de basses émissions à l’échelle de la Région, et d’élaborer le dispositif le plus efficace en regard de la qualité de l’air ».
Renvoi à plus tard et… aux communes !
Ainsi, plutôt que de transformer toute la Wallonie en une grande ZBE, on déploierait des mesures « là où la qualité de l’air est la plus dégradée ». Ce qui revient à renvoyer le dossier aux agglomérations et… à la prochaine législature qui sortira des urnes dans la foulée des
élections du 9 juin. Pour Estelle Toscanucci, porte-parole de Céline Tellier, « il est essentiel de réfléchir avec les autorités des villes et communes, bourgmestre et échevins », ce qu’encourageait déjà le décret initial. Pour l’instant, rien ne semble bouger au niveau local. Namur, qui devait être « ville pilote » de la ZBE wallonne, se retranche derrière « le flou artistique total » entourant l’application du décret. On a donc peu ou prou l’impression de tourner en rond, ou que Nessie se mord la queue. Faire de toute une région une zone de basses émissions serait une première mondiale, qui se heurte à la réalité : région très rurale et pas très riche, la Wallonie est aussi une zone de transit entre le nord et le sud de l’Europe. Tant décrié, semant le trouble en nos villes et nos campagnes, le décret voulant transformer toute la Wallonie en zone de basses émissions est pour le moins caduc. Aux prochaines majorités régionales et communales de trouver les solutions pour réduire les émissions polluantes.
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