Timide ou adepte de la discrétion, passez votre chemin : avec son aileron arrière au format d’une planche à repasser, la Ford Escort RS Cosworth ne fait pas dans la dentelle. Son but pourtant n’est pas de dilater les pupilles mais d’affoler les aiguilles du chrono. Ce qu’elle réalise parfaitement au demeurant, et plus facilement encore si votre itinéraire s’apparente à une spéciale de rallye. Ce pourquoi elle avait été créée, soit dit au passage...
À propos de cet « article de sport », j’ai une petite anecdote à vous raconter. Lorsque la première Escort RS Cosworth est arrivée au Moniteur Automobile, mon confrère Gaëtan Philippe s’est empressé de la passer dans un tunnel de lavage dont elle est évidemment ressortie très propre mais aussi débarrassée de cet élément aérodynamique dont l’encombrement et le volume avaient été mal estimés par... la buse de séchage ! Un incident qui aura au passage permis à Gaëtan de vérifier la légèreté de cet appendice.
Sur le principe, l’Escort RS Cosworth est proche d’une autre bête légendaire de rallye, la Lancia Delta HF Integrale. Comme elle, elle est une berline compacte d’un format proche (4,21 m contre 3,90 m certes, mais avec un empattement de 2,55 m contre 2,48 m), possède un moteur 2 litres turbo affichant des caractéristiques similaires (une puissance de 220 ch contre 215 pour l’ultime version appelée Evoluzione 2 et un couple de 290 Nm contre 314) et bénéficie de quatre roues motrices en permanence. En rester là serait une erreur. En effet, la Ford se démarque de l’Italienne par sa carrosserie à deux portes seulement, formule offrant une plus grande rigidité à la coque tout en permettant un gain de poids (1275 kg contre 1340). Mais elle se distingue aussi par son moteur en position longitudinale alors qu’il est transversal sur l’Italienne. Et enfin, par un système de transmission intégrale spécifique avec une répartition très différente du couple entre les essieux avant et arrière (34/66% sur la Ford contre 47/53% sur la Lancia). Voilà pour l’essentiel.
Fille de Sierra
Ford a la compétition chevillée au corps, peu importe la discipline. Sans remonter à Mathusalem mais aux années 70, sur piste comme en rallye, l’outil sportif de la marque à l’ovale s’appelle Escort et brille sur tous les terrains. Après l’épisode de la RS200 produite à dose homéopathique entre 1984 et 1986 et dont la carrière sportive a été tuée dans l’œuf suite à un changement de réglementation (la mort du Groupe B), Ford décide d’offrir à la Sierra un moteur 2 litres 16 soupapes turbo signé Cosworth, qui lui permet de truster les victoires en circuit comme en rallye, avec en point d’orgue, notamment, une victoire au Tour de Corse 1988 avec la paire Auriol/Occelli. La tradition est respectée.
À partir de 1988 cependant, la Sierra Cosworth abandonne sa carrosserie à 3 portes pour celle d’une berline 4 portes avec coffre séparé et, deux ans plus tard, gagne une transmission intégrale. Si la transmission intégrale est un atout en rallye, en revanche, sa forme tri-corps avec un important porte-à-faux arrière fait dire aux pilotes l’utilisant qu’elle est une nearly rally car, comprenez une auto pas vraiment taillée pour des épreuves comme le Tour de Corse. Cette Cosworth gagnera « presque » le Monte-Carlo 1991 quand, alors en tête, le Français François Delecour sort de la dernière spéciale avec une roue en moins, criant sa phrase devenue célèbre « j’ai pas tapé, j’ai pas tapé ! ». Peut-être, mais la victoire lui échappait…
La mutante
Ford est néanmoins conscient que cette architecture 3 volumes est peu faite pour le rallye et prépare en secret l’arme ultime. Ce sera une sorte de mutante conçue au départ de la nouvelle Escort (une traction) lancée durant l’été 1990 qui, sous son allure proche du modèle de Monsieur Tout-le-Monde, abrite des dessous de Sierra Cosworth 4x4. Inutile de préciser que la greffe mécanique n’a pas été simple à réaliser. En fait, elle aura nécessité deux années pleines de développement... et pas mal d’argent !
Le dessin de la voiture est l’œuvre combinée de plusieurs designers bien connus. Dans l’ordre alphabétique, on trouve: Ian Callum à qui on doit, entre autres, de nombreuses Aston Martin (DB7, Vanquish...) et Jaguar plus récentes (F-Type, I-Pace...); Peter Horbury, qui a travaillé sur de nombreux projets chez Ford et Volvo (il est l’homme qui se cache notamment derrière la première génération du XC90) et depuis peu chez Lotus; et principalement l’Américain Frank Stephenson (BMW X5, Mini, Fiat 500, Alfa Romeo 8C, Maserati MC12, Ferrari 430 et toute la gamme McLaren entre 2008 et 2017), qui prônait le montage d’un aileron arrière à trois étages, une pièce qui lui fut refusée par les financiers de Ford. Interrogé à ce sujet, Stephenson dira que cet élément aéro ne lui avait pas été inspiré par une réalisation automobile mais par l’avion du Baron Rouge, alias Manfred von Richthofen, rendu célèbre lors de la Première Guerre mondiale...
Une riche concurrence
La tâche d’adaptation et de rigidification de la coque fut confiée au carrossier Karmann, qui renforçait déjà l’Escort Cabriolet dans son usine de Rheine, en Allemagne. C’est également lui qui fut chargé ensuite de l’assemblage de la version « grand public », disponible selon deux finitions. La Motorsport, dépouillée comme base pour la compétition (1.438.000 FB), et la Luxe, destinée à un usage routier (1.553.600 FB). Des tarifs élevés au lancement, qui seront revus à la baisse très rapidement (quelques mois à peine) pour faciliter sa diffusion... et obtenir le sésame de l’homologation. La RS Cosworth ne devenait pas pour autant donnée. Alors que la version la plus élaborée de l’Escort RS2000 4x4 de 150 ch coûtait 896.000 FB, la version Cosworth vous était facturée à partir de 1.303.000 FB. À titre de comparaison, une Lancia Delta HF Integrale s’échangeait au même moment à partir de 1.277.000 FB, ce qui était, peu ou prou, le prix à payer pour s’offrir une BMW 325i Coupé (1.250.000 FB) plus raffinée mais moins performante, et nettement moins qu’une M3 E36 à l’envoûtant moteur 6-cylindres de 286 ch (1.830.000 FB).
Une bombe sous le capot
Destinée à la compétition, l’Escort RS Cosworth reprenait donc le moteur de la dernière évolution de la Sierra Cosworth, à un détail près : elle troquait à son lancement le turbo Garrett T25 pour un T3/T04B hybride combiné à un intercooler air/eau mais surtout plus gros, utilisé précédemment sur la RS200. Un choix guidé par la course et pour la performance, qui équipera les 2.500 premiers exemplaires, et sera abandonné dès 1995, avec le retour du plus petit turbo T25 qui, non seulement ajoutait de l’agrément à sa conduite, mais permettait à son moteur de gagner sept chevaux (227 ch). À noter encore que ces 2.500 premiers exemplaires disposaient d’un système d’injection d’eau monté sous le siège du passager, un système non fonctionnel qui avait été installé dans un seul but : obtenir son homologation FIA !
Inutile de dire qu’avec ce propulseur, la RS Cosworth était une bombe, capable de passer de 0 à 100 km/h en 6,1 s et d’avaler le 1000 m départ arrêté en 26,1 s. Des performances qui, près de trente ans plus tard, inspirent toujours le respect, mais réclament de fréquents passages chez le pompiste si vous dégoupillez fréquemment la grenade. Durant l’essai réalisé du 5 au 12 juin 1992 et publié dans notre n°1006, Gaëtan Philippe avouait avoir brûlé entre 13,2 et 23,1 l/100 km, des chiffres à faire frémir Greta, mais qui étaient courants sur ce type d’engin à l’époque. En effet, une conso moyenne de 17 l/100 km était aussi l’exigence d’une Lancia Delta HF Integrale, d’une Nissan Sunny GTI-R ou d’une Mazda 323 GTR quand elles étaient utilisées en respectant leur vocation.
Des dessous affriolants
Un moteur, c’est bien, mais ça ne suffit pas pour faire péter des chronos. Pour cela, il faut un châssis rigoureux et une transmission efficace, sans oublier un freinage à la hauteur et une direction bien calibrée. En matière de transmission, l’Escort RS Cosworth reprend les organes de la Sierra qui l’a précédée. On se trouve donc en présence d’une transmission intégrale permanente, avec un train épicycloïdal au centre muni d’un coupleur visqueux Ferguson et un différentiel arrière à glissement limité géré par un viscocoupleur, la boîte étant une MT 75 à 5 rapports seulement. À l’usage, on notera un embrayage musclé, progressif et... costaud, on appréciera la précision de la commande de boîte mais on regrettera les longs débattements du levier ainsi que ses verrouillages un peu caoutchouteux.
Par rapport à la Sierra, l’Escort dispose d’une crémaillère de direction un poil plus directe (2,4 tours de butée à butée contre 2,6 tours), sans que cela ne gêne en rien l’agrément de conduite, bien au contraire. Rien à dire de particulier quant au freinage, sinon que les grands disques remplissent correctement leur fonction et que l’ABS ne se montre ni intrusif, ni castrateur. Le tout mis ensemble octroie à la RS Cosworth un comportement remarquable qui force l’admiration et donnerait volontiers au conducteur lambda l’impression qu’il est devenu un talentueux pilote de rallye n’ayant rien à craindre pour ses vertèbres, les suspensions réalisant un excellent travail. Plus épatant encore, tel Mister Hyde et Docteur Jekyll, l’engin présente un double visage : sage et policé lorsqu’on a le pied tendre, redoutable lorsque la godasse se fait lourde, mais sans jamais devenir sauvage grâce à sa motricité parfaite obtenue en partie par les Pirelli P Zéro 225/45 ZR 16 spécialement développés pour elle et par son châssis affuté pour négocier les courbes. À l’usage, l’Escort RS est plus désirable qu’une Lancia Delta HF Turbo dans ses ultimes évolutions, moins polyvalente. Par rapport à la Sierra à laquelle elle succède, l’Escort se distingue par son train avant moins paresseux qui facilite l’inscription en courbe et par des variations moindres de son assiette, rendant plus précises les trajectoires.
Deux ambiances
À bord, c’est une Escort. Traduisez mieux en finition qu’une Citroën ZX, qu’une Peugeot 306 et qu’une Renault Mégane, moins bien qu’une VW Golf et au niveau d’une Opel Astra, l’un dans l’autre. Elle est équipée d’excellents sièges Recaro pouvant être revêtus de cuir en option, d’une installation audio de qualité et d’équipements spécifiques à Ford, comme le dégivrage rapide du pare-brise qui, définitivement, ne fait pas l’unanimité autour de lui, non pas quant à son efficacité, incontestable, mais quant à la visibilité qu’il perturbe de nuit. À noter que le toit ouvrant, livré en série sur la version Luxe, n’était pas disponible sur la Motorsport. Et aussi l’excellente lisibilité des compteurs à fonds clairs luminescents sans recourir à des ampoules, une exclusivité technique partagée avec Aston Martin, écusson prestigieux contrôlé par Ford.
Vous ne serez pas étonnés d’apprendre que l’engin est aujourd’hui très recherché, un engin auquel, outre-Manche, les passionnés vouent un authentique culte. Dès lors, pas étonnant que sa cote flambe. Et si quelques exemplaires peu kilométrés s’affichent autour des 100.000 € (!), n’espérez pas en trouver un plus fatigué en échange de votre Diesel récent. Pour devenir l’heureux propriétaire d’un des 7145 exemplaires d’Escort RS Cosworth produits dans sa configuration d’origine, il vous reste à économiser 45.000 € au bas mot et être très réactif à toute annonce publiée ou diffusée.
Texte Stany Meurer
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