De nouvelles règles fiscales fédérales pour 2020, la mise en place de zones de basse émissions (LEZ) dans certaines villes, la déclaration du gouvernement bruxellois d’interdire tous les véhicules Diesel dès 2030, l’idée d’une taxe kilométrique en Flandre pour 2024 et, tout récemment, la volonté du ministre wallon de la mobilité, Carlo Di Antonio (cdH), d’interdire la circulation des véhicules Euro 4 en 2026 dans le sud du pays : les annonces concernant la mobilité en cette fin d’année s’apparentent à un véritable imbroglio, mais qui risque à terme de devenir un vrai casse-tête pour les acteurs du secteur automobile et plus encore pour le citoyen. Car avec toutes ces mesures annoncées sans concertation aucune entre entités du pays, l’automobiliste ne sait vraiment pas à quelle sauce il sera mangé demain. Ni vers quel véhicule ou motorisation il devrait se tourner pour bien faire. Non, ce ballet politique totalement déconnecté de la réalité du quotidien du citoyen n’est pas de nature à rassurer ou à donner confiance dans l’avenir. Pire : le foisonnement de déclarations à connotation négative (interdictions, taxation,…) qui partent dans tous les sens ne semblent même pas permettre de poser les balises le long de la nouvelle route qui nous mènera vers une mobilité plus intelligente et plus verte. Et plutôt que de monter une voie claire vers une mobilité intégrée et comprise, ces annonces en sens divers indiquent plutôt l’entrée d’un labyrinthe.
En réflexion
Il est évident que la période est complexe pour les transports en général et le transport individuel en particulier. En effet, si la mobilité de tous reste primordiale, il est clair qu’elle va devoir évoluer dans les années à venir pour d’évidentes raisons d’engorgement de nos infrastructures d’une part et, d’autre part, parce qu’il est nécessaire de penser autrement à l’heure où le réchauffement climatique nous menace et où la Belgique étouffe dans la pollution atmosphérique, oxydes d’azote (NOx) en tête.
Pour toutes ces raisons, la Wallonie est entrée il y a plusieurs mois déjà dans une phase de réflexion autour de la fiscalité automobile. Une Commission « budget, énergie et climat » a été mise en place pour débattre d’une réforme de la taxation qui, avouons-le, est aujourd’hui totalement anachronique. Au départ, l’idée avancée était de revoir le système des taxes de mise en circulation (TMC) et taxes de circulation (TC) pour les voitures particulières autour de nouvelles formules de calcul avec, in fine, l’intention de privilégier l’essence plutôt que le Diesel, certes moins émetteur de CO2, grâce à une moindre consommation, mais plus polluant en définitive (voir l'explication ci-dessous). L’idée – qui poursuit aussi un but fiscal – n’est évidemment pas mauvaise, mais on se demande dans quelle mesure elle ne devrait pas aller plus loin. En prenant en compte, par exemple, séparément les rejets de CO2, de NOx, de particules fines, le cycle global du véhicule (production, utilisation, recyclage), voire d’autres paramètres encore. Bref, d’aboutir à une fiscalité plus juste et équitable et qui ne laisserait personne au bord de la (longue) route qui s’ouvre devant nous. Vaste sujet qui donne – et qui donnera – lieu à de nombreux débats, en espérant qu’à la fin ce soit le bon sens et le bien-être de tous qui puissent triompher. On peut rêver…
Di Antonio, cavalier seul ?
Complexe et profonde, cette réflexion se voit toutefois aujourd’hui mise à mal par le Ministre wallon de la mobilité, Carlo Di Antonio (cdH). Celui-ci semble en effet faire d’un coup le forcing en fin de législature avant les élections du 26 mai 2019, avec un projet de décret qui ne vise rien d’autre que d’interdire la circulation des véhicules plus anciens en Wallonie à l’échéance 2030. L’intention avait déjà été exprimée à l’été 2017. En revanche, ce qui est nouveau c’est que le ministre envisage désormais d’étendre l’interdiction de circulation aux voitures à essence alors qu’au départ, il ne devait s’agir que du Diesel. Concrètement, dans le projet de décret actuel, à partir du 1er janvier 2026, seuls les véhicules répondant à la norme Euro 5 (c’est à dire ceux mis en service après le 1er janvier 2011 et homologués depuis le 1er septembre 2009) ou supérieure seront autorisés à rouler sur les routes wallonnes. Le début de la procédure de retrait serait fixé à 2023. Entre le 1er janvier 2023 et le 31 décembre 2025, « la circulation des véhicules particuliers les plus polluants sera progressivement interdite, et ce quelle que soit leur motorisation. Seuls les véhicules répondant à la norme Euro 5 seront encore autorisés à partir du 1er janvier 2026 ».
Une deuxième étape de ce plan consiste, elle, à interdire totalement les Diesel antérieurs à la norme Euro 6d-Temp (l’actuelle en vigueur) à partir du 1er janvier 2030. Par cette annonce un peu soudaine, Carlo Di Antonio entend donner un signal fort : « les gens doivent savoir que s’ils achètent un Diesel au prochain salon de l’auto, il y a un risque en Wallonie ». Et il ne s’agit visiblement pas que d’un risque puisque le parlement wallon a déjà approuvé en première lecture l’avant-projet. En clair : le décret a « 99 % de chance d’être voté au parlement avant la fin de la législature », donc début 2019, a indiqué le cabinet du ministre. Il faudra voir ce qu’il en adviendra et comment le principe d’équité sociale sera respecté même si le projet de décret stipule que les véhicules Euro 4 acquis avant le 1er janvier 2019 pourront continuer à circuler pendant une durée « fixée par le gouvernement afin de ne pas piéger les citoyens ayant acquis un véhicule sans avoir connaissance des futures mesures d’interdiction ».
Si d’un point de vue environnemental, l’interdiction des véhicules plus polluants est sans doute une bonne chose, on se demande par contre ce qu’il adviendra de la fiscalité qui remplit les caisses de l’état. Ce à quoi Di Antonio répond de manière laconique : « c’est un séisme pour certaines personnes. Il faudra une fiscalité automobile adaptée, plus de pistes cyclables et d’autres alternatives ». Pas très précise cette déclaration d’intention et, surtout, une belle manière de renvoyer la patate chaude aux collègues qui tentent de monter par ailleurs un nouveau projet cohérent.
Un vrai projet de société
De son côté, la Commission « budget, énergie et climat » semble avoir saisi les enjeux. Jean-Luc Crucke (MR), Ministre du Budget, des Finances, de l'Énergie, du Climat et des Aéroports qui siège à la Commission indiquait à l’issue de la dernière séance : « je comprends que les enjeux dépassent ceux de la simple fiscalité. Il s’agit d’un débat de société. J’ai envie de bien faire les choses. Donc soyons réalistes, c’est un travail qui s’étalera aussi sur la prochaine législature. Prenons le temps et ne fixons pas des délais trop courts ». Sage réflexion. Car pour changer en profondeur, il faudra non seulement penser fiscalité – taxes classiques, taxe au kilomètre ? –, mais aussi aux alternatives, à l’évaluation et à l’encouragement pour d’autres types de technologies (électrique ?) et d’autres types de mobilité (moyens de transport partagés par exemple, redéploiement des transports en commun, RER…).
Bref, la route sera longue, mais, effectivement, prenons le temps. Pas pour retarder l’échéance du changement face à l’urgence environnementale, mais pour mettre en place une action intelligente, concertée et coordonnée entre les Régions de ce pays mosaïque. Ce n’est actuellement pas le cas et ça aboutit d’ailleurs à une situation ubuesque. Que fera l’automobiliste ? Le Flamand roulera gratis en Wallonie ? Et le Wallon paiera deux fois si la Flandre aboutit à son régime de taxation au kilomètre escompté pour 2024 ? Sans compter que Bruxelles pourrait aussi y mettre son grain de sel. Et rappelons de surcroît que tous ces projets ne pourront vraisemblablement concerner que les voitures particulières et sans doute pas les voitures de société. Car, pour que la fiscalité sur les voitures de leasing change, la loi oblige un accord entre les trois Régions. Or, on est loin du compte.
Que retenir de tout ceci ? Que deux ministres appartenant tous deux au même petit gouvernement wallon (qui compte 7 ministres au total !) sont incapables de se concerter pour mettre sur pied une fiscalité automobile juste, comprise de tous, résolument axée sur l’avenir, inscrite sur le long terme pour rassurer les acteurs du marché comme les contribuables et développent au contraire chacun leur projet dans leur coin. Avec in fine, un labyrinthe incompréhensible pour le citoyen. Et on ne parle même pas d’un accord avec la Flandre, Bruxelles, etc… Bref, espérons que le bon sens l'emporte tout comme la volonté de concertation.
Explication : quelle évolution pour les TMC et TC ?
Sur le bureau des parlementaires wallons, c’est un document de près de 400 pages qui est aussi examiné, en marge du projet de décret de Di Antonio évoqué ci-dessus. Ce document a été commandé par l’ancien Ministre du budget du Budget Christophe Lacroix (PS), mais réceptionné à l’été 2018 par l’actuel Ministre, Jean-Luc Crucke (MR). L’étude répond à un triple objectif : promouvoir une mobilité plus verte, être socialement équitable et simple à mettre en œuvre. Concrètement, trois scénarios sont sur la table et tous proposent une base de calcul où le Diesel serait pénalisé. Cela dit, ces scénarios pourraient toutefois évoluer dans les mois qui viennent si les parlementaires ajoutaient d’autres critères, comme par exemple celui des polluants atmosphériques autres que le CO2.
Le premier scénario est un système de malus pour lequel les véhicules émettant plus de 125 g/km de CO2 seraient pénalisés comme les véhicules Diesel dont le « poids » dans la formule alourdirait la taxe (valeur de 130 au lieu de 100 pour l’essence). Dans ce modèle, on note aussi que la TMC est plus chère que la TC pour influencer le comportement à l’achat.
Le deuxième scénario est un système de bonus/malus. Il s’agit de procéder comme pour le premier modèle, sauf qu’un bonus est accordé aux véhicules émettant moins de 95 g/km de CO2. Dans ce cadre, jusqu’à 45% des véhicules composant l’échantillon pour le calcul devrait s’acquitter d’un malus et seulement 7% bénéficieraient d’un bonus. Là aussi, il s’agit d’influencer l’achat.
Enfin, le troisième et dernier scénario est un système de malus qui garantit l’équilibre budgétaire. Ici, chaque gramme de CO2 au-delà de 125 g/km coûterait 10 € au propriétaire avec un maximum de 3000 € pour les voitures émettant plus de 195 g/km.
Notons que dans les deux premiers scénarios, le gouvernement wallon optimiserait ses recettes fiscales de respectivement 33,1 % et 32,6 % alors que dans le troisième cas l’équilibre budgétaire serait respecté (+ 0,8%).
Les experts notent que, globalement, pour les véhicules puissants mais qui ne dépassent pas les 125 g/km, les taxes n’augmentent pas. En revanche, pour les voitures qui dépassent ce niveau CO2, les TMC et TC augmentent. Ce qui semble logique. Pour le LPG et le CNG (gaz naturel compressé), les TMC et la TC augmentent également car ces véhicules émettent du CO2. Les véhicules hybrides-essence verront les taxes baisser, au contraire des véhicules hybrides-Diesel pour lesquels elles seront en hausse. Enfin, les véhicules électriques seraient exonérés de TMC et la TC resterait fixée au seuil minimal de 61,5 €. Qu’en conclure ? Que le critère « carburant » est désormais retenu en plus de celui du CO2 et de la puissance du véhicule. Est-ce suffisant ? Sans doute pas car pour que le système soit tout à fait honnête techniquement, il faudrait prendre en considération la performance écologique globale du véhicule tout comme ses émissions de polluants atmosphériques.
Une piste : l’Écoscore plutôt que le taux de CO2 ?
Jusqu’à présent, toute la fiscalité est basée sur les émissions de CO2. Certes, la Wallonie envisage aussi d’utiliser la variable « carburant », mais n’est-ce pas un peu limitatif ? Probablement. D’où l’idée naissante d’utiliser l’Écoscore. C’est à dire ? Il s’agit d’un outil en ligne commun aux trois Régions du pays (si, si) qui permet de calculer la valeur écologique d’une voiture au moyen de critères plus larges et variés. Concrètement, la formule de calcul prend en considération pas moins de trois gaz à effet de serre (CO2, CH4, N2O), cinq polluants atmosphériques (NOx, CO, HC, PM et SO2) ainsi que les émissions de bruit du véhicule (dB). Il en résulte une note sur 100 plutôt représentative du véhicule et qui pourrait être utilisé à bon escient dans une potentielle formule fiscale. Notons que l’Écoscore ne prend pas en considération le cycle global de la voiture(production, utilisation, recyclage). Cela dit, rien n’indique qu’il ne pourrait pas être adapté à l’avenir. Ce qui en ferait un outil à la fois commun et évolutif. En Belgique, ce serait presque une révolution ! Infos sur www.ecoscore.be
Par David Leclercq
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