Industrie et économie / Honda 0 Series : cap sur l’électrification !

Alors qu’elle figurait en bonne place dans le cœur de tous les passionnés au cours des années 80 et 90, où elle était d’ailleurs surnommée la « BMW japonaise », Honda a ensuite perdu pied en Europe. Au point, aujourd’hui, de ne plus y faire que de la figuration. Sous le coup de quelques sakés, un responsable local nous a ainsi déclaré sur le ton de la plaisanterie qu’un seul concessionnaire aux États-Unis vendait à lui seul plus de Honda que l’ensemble du marché européen. De fait, les chiffres ne trompent pas : en 2020, Honda vendait en Europe quelque 180.000 voitures. Pour l’année fiscale 2024, on parle plutôt de 100.000.

Et la Belgique n’échappe évidemment pas à la dégringolade. Avec 1478 voitures immatriculées en 2023 (soit en moyenne… 59 voitures par concessionnaire), la part de marché de la marque en Belgique végète à un petit 0,31 %, soit la 31^e place du classement des marques tel que fourni par la FEBIAC. Comment cette marque autrefois louée pour ses produits passe-t-elle dorénavant sous le radar ? Erreurs stratégiques, gamme peu homogène et adaptée au marché (essentiellement fleet), retard sur l’électrification, difficultés de livraison sont autant de facteurs qui peuvent expliquer ce désintérêt européen.

Une stratégie enfin claire

Pourtant, ailleurs dans le monde, la marque se porte très bien. Pour l’année-fiscale 2023, elle aura ainsi vendu plus de 3,7 millions de voitures (en recul cependant de 9,5 % par rapport à 2022). Loin des leaders du marché, dont les 11,2 millions du leader Toyota, certes. Dont 1,3 million rien qu’aux States. Les États-Unis absorbent ainsi 32 % de ce volume (si l’on y compte la marque de luxe Acura), l’Asie plus de 62 %. Le solde, soit 6 %, se partageant entre l’Europe et l’Afrique.À l’aune de ces chiffres, il est clair que la direction du groupe ne pouvait rester sans réagir. Ce qu’elle a commencé à faire avec un concept car présenté lors du CES de Las Vegas en 2024 : le Saloon et son dérivé Space-Hub.

Ce concept car Saloon marque le lancement officiel de la stratégie « Honda 0 Series »  devant déboucher dès 2026 sur le développement d’une nouvelle gamme électrique bâtie à partir de zéro. Avec à la clé des investissements massifs dans une nouvelle plateforme, une nouvelle usine de batteries dans l’Ohio, des innovations majeures en termes d’industrialisation, des objectifs de réduction des coûts de production devant permettre une baisse de 20 % du prix des batteries par rapport à ce qu’il est aujourd’hui. La nouvelle organisation des unités de production (faisant appel à l’IA pour optimiser les processus et la logistique), de nouvelles technologies et une rationalisation industrielle qui doit en outre permettre une réduction des coûts de production de l’ordre de 35 %.  Le but étant d’arriver à une gamme composée à 40 % d’électriques et de Fuel Cell (à hydrogène et pile à combustible) d'ici à 2030 (et 100 % d'ici à 2040) et de vendre 2 millions d’électriques à la même échéance.

D'ici à 2030 également, Honda mettra ainsi sur le marché sept nouveaux modèles électriques, allant de la berline compacte au gros SUV. Car oui, Honda continue de penser que l’électrification est le moyen le plus efficace d’atteindre l’efficience énergétique et la décarbonation des transports. Et pour cela, le groupe investit quelque 63 milliards d’euros pour se repositionner utilement.

Thin, light, wise

Le concept car Saloon préfigure les axes de développement de Honda en matière d’électrification. Bien sûr, sa ligne futuriste et audacieuse a peu de chances de se voir reproduite sur le modèle de série. Néanmoins, elle met en avant le souci des ingénieurs d’obtenir une aérodynamique aussi favorable que possible, soulignant que, s’agissant d’une électrique, cet aspect est bien plus pertinent que la masse. L’importance relative de ces deux éléments s’inversant pour une thermique. Le concept utilise une nouvelle plateforme dans laquelle vient s’installer le pack de batterie lithium-ion dont on connait encore peu de choses sinon sa tension de 400 V et sa faculté de recharge rapide acceptant du 150 kW. Ce qui apparait a priori assez timide par rapport à ce que propose la concurrence la plus pointue. Et si Honda annonce « une recharge rapide de 15 à 80 % en 10 à 15 minutes », cela ne veut rien dire tant qu’on ne connait pas la capacité de la batterie.

Cette nouvelle stratégie repose sur un triple principe : «Thin, Light, Wise» (fin, léger, sage). Pour rester performante d’un point de vue aérodynamique, la voiture a besoin d’un pack de batterie aussi fin que possible afin de limiter la hauteur hors tout sans dégrader l’habitabilité. Sur le concept Saloon, la hauteur se limite ainsi à 1,4 m. « Léger » pour retrouver des sensations de conduite trop longtemps reléguées au second plan. Et « sage » pour obtenir une efficience énergétique s’accordant aux besoins réels de l’utilisateur. Honda mise donc sur un développement de produits cohérents, rationnels et raisonnables. En l’occurrence, le concept Saloon exprime le degré de liberté accordé aux concepteurs par la technologie électrique, bien plus flexible qu’elle ne l’est que pour du thermique.

Pour s’adapter à différents modèles, les ingénieurs ont développé un pack de batterie modulaire. Une moitié du pack est commune à l’ensemble de la gamme, l’autre moitié, dont les deux parties du carter en alu sont soudées par un nouveau procédé, pouvant être compacte ou plus imposante en fonction des besoins et de la taille du modèle. Des nouvelles méthodes de pressage des éléments de carrosserie et du carter de batterie permettent de travailler avec nettement moins de pièces différentes, afin de réduire les coûts de production. Une technique qu’a faite sienne Tesla depuis des années. À noter que contrairement à ce que fait BYD par exemple, ici le pack de batterie ne constitue pas un élément structurel du châssis : en l’occurrence, il est boulonné au châssis monocoque « pour faciliter les réparations éventuelles ».

Des protos à l'essai

Si la ligne du concept est à ce stade futuriste, elle cache en tout cas une technologie qui en est déjà au stade de l’expérimentation, cachée actuellement sous les traits d’une berline et d’un gros SUV 7 places. Nous avons pu prendre le volant du SUV pour quelques tours entre des cônes sur la piste d’essai de Motegi. La berline était équipée de la suspension pneumatique, le SUV d’une suspension classique. Le SUV est en transmission intégrale, la berline en traction, mais globalement la technologie électrique reste identique, de même que la plateforme. L’ingénieur nous a ainsi précisé que le développement de la chaîne cinématique est quasiment achevé et qu’il reste un développement à parachever pour ce qui concerne les liaisons au sol. Le développement de celle qui doit arriver en concession fin 2025, voire début 2026, est globalement achevé à hauteur de 70 %.

Mais comme pour un tour chrono sur un circuit, ce sont les derniers dixièmes de seconde les plus difficiles à aller chercher. Celui dont nous avons pu prendre très brièvement le volant va donc encore évoluer. Pour l’heure, la direction n’est pas aboutie car sa montée en effort n’a rien de linéaire. C’est une question de calibrage, parait-il. En l'état, on peut donc juste se prononcer sur l’arrivée très progressive de la puissance et du couple (bien qu’aucune valeur n’ait pu être communiquée à ce stade), sur un maintien de caisse qui pour l’instant privilégie clairement le confort au dynamisme et sur un silence de marche déjà étonnant. L’impression qui en resulte est celle d’un modèle déjà très abouti sur le plan dynamique, a priori cohérent, mais assez… traditionnel aussi.

Car en l’état, ce SUV ne reproduit en rien l’audace visuelle du concept Saloon. La crainte sous-jacente étant que Honda apparaisse un peu timoré dans ses choix techniques, par rapport à des concurrents qui n’hésitent pas à s’engager dans une voie plus clivante. Par ailleurs, dans son portfolio de modèles en développement, il n’est nulle part question d’une petite citadine électrique et abordable (entre 20 et 30.000 €), genre Renault R5 E-Tech ou Citroën ë-C3 par exemple. La Honda e aurait-elle eu raison trop tôt ? Trop chère et dotée d’une trop faible autonomie, elle n’avait aucune chance. Dommage.