Dans l’essai qui lui était consacré, publié dans le n°1191 du 5 août 1999, Gaétan Philippe disait d’elle que « la Ferrari omnisciente vient de naître : elle aurait atteint son point d’harmonie. Parce que c’est la plus sortable de toutes ». Il écrivait cela pour l’ensemble de ses prestations certes, mais aussi, et indirectement, pour sa ligne intemporelle et, à sa manière, plutôt discrète.
C’est dans un contexte particulier de fin de siècle et, on le saura bien plus tard, d’une période de transition vers une nouvelle façon de vivre et de se comporter, qu’apparaît la 360 Modena, plus communément connue comme la Modena tout court. Ardue, sa tâche consiste à la fois à nous faire oublier l’existence de la 348 à la sulfureuse réputation et à succéder à la fabuleuse F355 autrement plus aboutie, un modèle très recherché aujourd’hui par les connaisseurs et adulé par les amateurs de la marque.
Seule au monde ?
Sur son chemin, la Modena ne rencontre pas une foule de rivales. À l’époque, en effet, la mode n’est pas à la prolifération de supercars comme elle peut l’être aujourd’hui. Au sein de la gamme Ferrari, la 360 se situe tout en bas de l’échelle, avec un prix « d’attaque » à 5.021.500 FB pour la version à boîte manuelle et 5.384.500 FB pour son dérivé à boîte robotisée F1. C’est nettement moins cher que les autres modèles du constructeur à moteur V12 implanté à l’avant, à savoir la 550 Maranello (7.713.750 FB) et la 456 GT (8.167.500 FB en boîte manuelle et 8.470.000 FB en boîte F1).
Quant à la concurrence extérieure, elle s’appelle Honda NSX (3.880.000 FB), Lotus Esprit V8 GT (2.590.000 FB), Porsche 911 Carrera 2 (2.995.000 FB) ou Carrera 4 (3.180.000 FB), Venturi Atlantique 400 (2.995.000 FB)... et c’est tout, Lamborghini n’ayant alors aucun produit à lui opposer directement. À la lecture de tout ceci, on remarquera que la Modena est sur un marché particulier (celui des 5.000.000 FB) qu’elle occupe seule.
Moderna Modena
Sur le plan technique, comme le précise Gaétan Philippe, « la Modena est la sportive de série la plus perfectionnée de son époque ». Et cela davantage par son électronique embarquée, insigne pour l’époque, et les matériaux employés pour sa construction que par son architecture somme toute consensuelle de berlinette biplace à moteur central. Avant d’ajouter, « plus qu’une prédilection pour l’aluminium, c’est d’exclusive qu’il faut parler ici. Alcoa, le géant de l’aluminium, a en effet prêté son concours pour réaliser la structure porteuse de la 360, si bien qu’on dispose là de la première Ferrari de série dont le moteur, la carrosserie, les suspensions et le châssis sont en alu ».
Parfait, mais pas aussi remarquable et exclusif que le constructeur voudrait nous le vendre, Honda ayant offert à sa NSX une coque en alu bien des années auparavant (en 1990, pour être précis), sans même parler d’Audi, coutumier de cette pratique pour ses A8. Parlons plutôt d’un rattrapage du temps perdu par une sérieuse remise à niveau, une fâcheuse habitude pour Ferrari en matière de châssis et de trains roulants par le passé, la marque de Maranello ayant souvent privilégié le développement et le raffinement de ses moteurs au détriment de tout autre élément mécanique, parfois négligé...
Mécanique de pointe
S’il reprend le format (V8), les bielles en titane (en plus longues) et la fonderie du bloc de la F355 qui l’a précédé, le moteur de la Modena s’avère une sérieuse évolution de celui-ci au point qu’on peut presque parler d’un moteur inédit, n’ayant plus rien en commun avec son prédécesseur. D’une cylindrée de 3586 cm3, il affiche des chiffres intéressants, comme une puissance de 400 ch à 8500 tr/min (111 ch/l!) et un couple maxi de 373 Nm au régime relativement élevé de 4750 tr/min. De quoi lui assurer une vitesse maxi de 293 km/h atteinte à... 9000 tr/min, vérifiée par nos soins à l’époque, sans oublier un 1000 m départ arrêté avalé en 23,5 s à peine.
Monté en position longitudinale au centre du véhicule, ce moteur atmo est coiffé de deux culasses à cinq soupapes par cylindre, trois d’admission radiales et deux d’échappement en V, avec un variateur de phase agissant uniquement à l’échappement commandé par un actuateur électrohydraulique. Il dispose en outre de deux clapets de régulation de la contre-pression, montés sur les silencieux d’échappement. Pour en tirer la quintessence, Ferrari propose deux choix en termes de transmission, à savoir une manuelle classique et une F1, comprenez une boîte mécanique robotisée à commande électrohydraulique, toutes deux étant à six rapports dont seul le dernier est surmultiplié. Par rapport à la F355 qu’elle remplace, on notera, fait important, que la 360 a fait pivoter de 90 ° ses boîtes, passant d’une position transversale à une longitudinale dans le prolongement de l’axe du moteur.
Parmi les avantages de l’ultime évolution de la boîte F1 montée sur la Modena, il faut évoquer la plus grande rapidité de passage des rapports, environ deux dixièmes de seconde suffisant pour monter ou descendre une vitesse, un temps amélioré par rapport à la première génération du type grâce notamment à l’adoption sur le V8 d’un accélérateur électronique. Côté point noir de toute boîte F1, on épinglera un temps de réaction beaucoup trop long à l’engagement de la marche arrière lorsqu’on inverse le sens de marche, un défaut susceptible de mettre vos nerfs, et même votre sécurité à rude épreuve lorsqu’on veut effectuer un demi-tour sur une chaussée. Dotée d’une assistance à tarage constant, la direction donne entière satisfaction, et cela d’autant plus que le volant tombe idéalement entre les mains grâce aux réglages en hauteur et en profondeur et que le recul du siège est suffisant pour permettre une bonne installation des grands gabarits. Ce qui n’a pas toujours été le cas chez Ferrari.
Côté freinage, la Modena fait appel à quatre disques ventilés de 330 mm de diamètre, pincés par des étriers Brembo à quatre pistons à l’avant comme à l’arrière. Pour éviter tout blocage intempestif des roues, un ABS Bosch 5.3 à quatre capteurs et quatre canaux veille au grain. Au passage, notons qu’il intègre une fonction ASR d’antipatinage.
Beauté italienne
Par rapport à la F355, la Modena a grandi de 23 cm, autorisant au passage une augmentation de l’empattement de 2,45 m à 2,60 m. Elle est également légèrement plus large (1,93 m contre 1,90 m) mais aussi plus haute (1,22 m contre 1,17 m). Plus légère d’une soixantaine de kilos environ que sa devancière, elle repose sur une monte pneumatique repensée, plus étroite à l’avant (215 de large contre 225) mais plus large à l’arrière (275 contre 265), le diamètre restant identique (18 pouces). Quant à la répartition des masses, Ferrari revendique 43% sur les roues avant et 57% sur les roues arrière, ce qui lui assure un comportement typique de berlinette à moteur central très à l’aise dans les enchaînements rapides, sensible au vent latéral à grande vitesse et réclamant un certain doigté dans les épingles si on veut éviter tout sous-virage contreproductif.
La 360 Modena a été dessinée pour être belle et évoquer le passé, et plus précisément rendre hommage à la 250 LM, mais pas que. Les entrées d’air avant séparées des deux radiateurs d’eau (petit clin d’œil à la Brabham BT 34 engagée en Formule 1 entre 1971 et 1972!), le carénage de boîte et le diffuseur arrière ne sont pas là pour créer des effets gratuits de style mais illustrent la recherche aérodynamique menée sur la voiture dont l’objectif principal n’était pas d’abaisser le Cx mais d’améliorer le Cz, comprenez l’appui.
À bord, conducteur comme passager sont choyés... à l’italienne. Ce sont les invités de la maison Ferrari et ils sont là pour profiter de toutes les qualités des produits de la marque, dont les vocalises du moteur sont particulièrement réputées et ont la capacité de vous retourner le cœur. Alors, évidemment, si de gros progrès ont bien été réalisés en finition, il reste du travail à fournir pour viser le sans faute et il ne faut pas chercher la petite bête longtemps pour trouver des lacunes qui chagrinent: il suffit de soulever les tapis pour cela, par exemple. Par rapport à une Audi R8, ou à ses cousines Lamborghini de l’ère Audi, on évolue à des années-lumière et la comparaison pourrait être identique à celle qu’on ferait entre une Alfa Romeo Brera et une Audi TT par exemple. Bref, pas flatteur pour un perfectionniste habitué aux standards allemands, mais comme il paraît qu’un amant pardonne tout à sa maîtresse adorée...
Abordable ?
Moins nerveuse que la F355 dans les enchaînements lents et plus précise à haute vitesse, et sans comparaison par rapport à la 348 dont la mise au point approximative en faisait une machine rétive, la Modena révèle un équilibre insigne atteignant ses limites naturelles sans que l’antipatinage soit sollicité, des limites que le conducteur lambda aura toutes les peines à dépasser voire à approcher sur route ouverte, soit dit en passant. Dans les qualités qu’il lui trouvait, Gaétan Philippe ne citait-il pas « un plaisir de conduite immense, à se damner... » ? Un raccourci qui résume tout.
Comme pour toutes les Ferrari, et ce qui est plus surprenant même pour les moins désirables, les prix s’envolent avec le temps. N’espérez pas trouver une Modena sous les 50.000 €, même avec quelques travaux à réaliser, un bel exemplaire se négociant à partir de 58.000 € au bas mot, un peu plus pour une version Spider et beaucoup plus, mais alors vraiment beaucoup plus, pour une Challenge Stradale (130.000 € semble être un prix minimum). À noter que, plus rare, une Modena à boîte manuelle a tendance à se vendre plus cher que la même équipée d’une boîte F1. Ironie du sort qui fait payer plus cher aujourd’hui ce qui se vendait moins cher hier...
Texte : Stany Meurer
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