Premier essai / Lotus Emeya R : nous avons testé la version sportive de 918 ch

Il est facile de gloser inutilement sur le virage pris par Lotus, qui s’est lancé l’an passé dans l’aventure du SUV et de l’électrique en même temps avec l’Eletre. Ceux qui pensaient que la petite marque britannique (devenue chinoise) allait pouvoir survivre encore longtemps avec pour seul vivier de clients les rares passionnés qui trouvaient leur bonheur dans la rusticité d’une Elise n’ont rien compris au sens de l’histoire. Sans cette démarche, certes osée, aujourd’hui Lotus aurait sans doute déjà tout simplement disparu… L’Eletre cartonne commercialement auprès d’acheteurs qui ne sont pas restés ancrés dans le passé avec pour seul mantra cette assertion «Light is Right» qui colle à l’histoire de la marque comme le sparadrap au pouce du capitaine Haddock. Aujourd’hui, l’argent recommence à rentrer dans les caisses, permettant d’envisager un élargissement de la gamme. Élargissement qui se concrétise cet été avec le lancement de la première limousine 5 portes de luxe de la marque, l’Emeya. L’offensive «produits» confirme son rythme soutenu…

Gabarit & Technique – Lotus Emeya R

Cette berline est bien sûr basée sur la même plateforme EPA (Electric Premium Architecture) qui sert aussi au SUV Eletre. Si la longueur augmente en l’occurrence de 4 cm (de 5,10 à 5,14 m), c’est essentiellement dû à l’allongement de l’empattement de 6 cm (de 3,01 m à 3,07). Le dégagement aux genoux pour les passagers arrière était déjà généreux: il l’est encore plus ici. Mais nettement plus basse, l’Emeya profite de meilleures caractéristiques aérodynamiques (SCx en baisse de 0,769 à un excellent 0,553), ce qui a permis d’envisager une batterie certes moins généreuse en capacité (de 112 à 102 kWh bruts), mais plus fine et donc un peu plus légère pour des valeurs de consommation et donc d’autonomie toujours largement favorables, ceci compensant cela. Lotus annonce ainsi une autonomie WLTP de 612 km pour les Emeya et Emeya S, et de 435 km pour cette version R, ne proposant rien de moins que… 918 ch et 985 Nm. Ils sont issus de deux moteurs électriques synchrones à aimant permanent des respectivement 225 kW et 450 kW à l’avant et à l’arrière qui font bien évidemment de l’Emeya une transmission intégrale permanente.

Avec un tel potentiel, c’est heureux! Mais une «intégrale» plus proche du sol, au centre de gravité très bas et bien centré, aux voies larges et donc moins naturellement sensible au roulis. Ce qui a laissé la possibilité aux ingénieurs de travailler avec des raideurs de suspensions un peu moindre que pour le SUV, mais… pas autant qu’attendu. Ils sont en effet partis du postulat que le public-cible de l’Emeya recherche une conduite sans doute un peu plus dynamique que pour l’Eletre et donc il fallait garantir un maintien de caisse en rapport avec ces aspirations sportives. Aux ressorts pneumatiques à double chambre et aux amortisseurs pilotés des Emeya et Emeya S, cette version R ajoute de série le contrôle actif du roulis via des barres pilotées sous 48 V et des roues arrière directrices.

Comportement routier – Lotus Emeya R

On ne va pas se mentir : l’Emeya n’a pas l’agilité d’une Elise. Elle n’en a pas la vocation non plus. Tout simplement parce qu’elle pèse à la louche près de 3,5 fois la masse du petit roadster. Mais contrairement à ce dernier, elle est capable de transporter 4, voire 5 personnes et leurs bagages dans de longs trajets en tout confort dans un environnement raffiné. Et pourtant, honnêtement, en matière de comportement routier, elle est surprenante. Bien sûr, elle est équipée de tout ce qu’il faut pour, mais elle parvient à masquer sa masse d’une manière surprenante. Notre exemplaire d’essai était équipé des immenses disques de freins en carbone-céramique Brembo de 420 mm à l’avant et 410 à l’arrière et des énormes étriers fixes AP Racing 10 pistons (!) optionnels. Avec la répartition vectorielle de couple (via les freins), la direction directe (mais un peu avare en retour d’informations) et le grip mécanique des excellents Pirelli, cette Emeya R s’est lancée à l’assaut d’un col de montagne virevoltant en passant d’un appui à l’autre sans inertie, sans roulis (exagéré), sans temps mort et avec une motricité telle qu’elle n’a jamais été prise en défaut malgré l’abondance de puissance et l’avalanche de couple quasi instantané.

Cela fait bizarre de parler ainsi d’une limousine de plus de 5 m et de plus de 2.500 kg, mais c’est la réalité. Et avec ces freins pour le moins généreux, seul le dosage pose problème, avec une attaque de pédale très (trop) franche. Mais la puissance de décélération n’est jamais prise en défaut. Une sortie d’épingle en vue? Gaz en grand et les plus de 900 ch et Nm (immédiatement disponibles de surcroît) catapultent l’engin avec une vigueur rarement rencontrée, qui vous projette la tête contre l’appui-tête et vous comprime l’estomac. Pas forcément confortable, mais… rapide, assurément!

Performances – Lotus Emeya R

Rapide, cette Emeya R l’est tout autant sur les grands axes. Sur une portion d’autoroute allemande libre de tout trafic et de toute limitation de vitesse, il ne lui faut pas longtemps pour arriver à sa vitesse maxi (vérifiée et limitée) de 255 km/h dans un silence et une stabilité étonnante. Pour y arriver, les ingénieurs Lotus ont prévu une «calandre» dont les alvéoles peuvent s’ouvrir en cas, par exemple, de besoin en air frais pour refroidir la batterie, ou se fermer pour mieux guider le vent et ainsi le fendre efficacement. L’aileron arrière mobile peut se déployer dans une configuration biplan pour apporter un surcroît d’appui à haute vitesse et le diffuseur arrière s’équipe de flaps mobiles sur ses extrémités pour moduler son efficacité et le cas échéant véritablement aspirer la voiture vers le sol. Une aéro active complétée de véritables ouïes derrière les roues avant, dans les passages de roues arrière pour laisser passer l’air presque sans devoir le combattre. À noter qu’il ne faut que 9 secondes pour passer de 0 à 200 km/h et que jouer à saute-camion se fera toujours en toute sécurité vu les ressources en reprises constamment disponibles.

Il faudra néanmoins s’habituer à une mise en vitesse telle qu’elle pourra bouleverser certains repères si l’on y prend garde. Le risque d’arriver plus vite que prévu face à une courbe est réel, d’autant que l’absence de repère sonore bouleverse la perception de la vitesse effective. En l’occurrence, et même si ce n’est évidemment pas si simple, on aurait volontiers troqué 200 ch de moins pour 200 km d’autonomie en plus. Cela dit, la solution existe et se nomme Emeya ou Emeya S. Avec 612 ch, elles ont toutes deux largement de quoi voir venir tandis que dans le meilleur des cas (avec les jantes de base de 20 pouces), leur autonomie officielle grimpe à 612 km. Sans doute un choix plus rationnel…

Batterie & Recharge – Lotus Emeya R

Toutes les versions partagent néanmoins le même écosystème de recharge électrique. À savoir, un fonctionnement sous 800 V, un chargeur embarqué de 22 kW de série et la capacité de se recharger sur une borne rapide à du 402 kW en pic (encore faut-il en trouver une qui délivre effectivement cette puissance). Si c’est le cas, une recharge de 10 à 80% de SoC ne demande que 14 minutes. Lors de notre trajet d’essai en Allemagne, sur une borne du réseau Ionity, sans doute préalablement briefé par Lotus, on a pu de fait constater une recharge à 334,5 kW, soit une vitesse de charge de 1302 km/h. En cette matière, Lotus se targue d’ailleurs d’un record du monde. Et oui, les records de 2024 ne sont plus ceux de ton époque, cher Colin…

Vie à bord – Lotus Emeya R

Et le traitement ascétique des Lotus d’antan n’est plus non plus de mise en 2024. Luxe, opulence, technologies de pointe, matériaux de qualité, assemblage soigné, finition exemplaire: les capitaux chinois ont aussi apporté de la rigueur à l’approximation anglaise d’hier. Ceux qui se sont déjà installés dans un Eletre ne seront en l’occurrence absolument pas dépaysés. L’environnement est très similaire. Avec notamment cet écran central OLED de 15,1 pouces multifonction au centre de la planche de bord par lequel il faut passer pour… tout. Y compris pour moduler la transparence du toit opacifiant fait d’une mosaïque de losanges, tous réglables séparément. Ou pour diriger les ouïes de ventilation. Même si l’écran est intuitif et réactif, c’est toujours plus compliqué que de diriger directement ces ouïes. C’est sans doute un peu exagéré.

Cela dit, l’écosystème Lotus HyperOs fonctionne bien, se montre réactif et intuitif, ergonomique à l’un ou l’autre détail près et est bien sûr compatible avec Apple CarPlay et Android Auto. Mais c’est surtout l’installation audio KEF qui, lorsqu’elle est complétée du subwoofer optionnel, rend un son Dolby Atmos 3D Surround absolument bluffant d’effet et de qualité. C’est bien la première que l’on évoque la qualité d’un système audio dans une Lotus: dans une Elise, il est totalement superflu.

Prix & concurrence – Lotus Emeya R

Si vous vous êtes levé un matin en vous disant «tiens, aujourd’hui, j’achèterais bien une électrique de 1000 ch» (on ne sait jamais…), qu’est-ce qui se présente à vous ? Une Audi RS e-Tron GT Performance de 924 ch. Une Porsche Taycan Turbo GT (1034 ch) à 255.300 € ou Turbo S (952 ch) à 213.600 €. Une Tesla Model S Plaid (1020 ch) à 110.970 €, une affaire. Ou… cette Lotus Emeya R de 918 ch, facturée 154.890 €, soit 25.000 € de moins qu’une BMW i7 M70 xDrive de «seulement» 659 ch. Autrement dit, dans cette sphère de puissance, à l’intérêt certes très discutable, et de prix, l’Emeya R est quasi sans concurrente. Car si la Tesla reste moins chère et consomme sans doute encore moins, elle n’a pas la qualité perçue ni la rigueur de comportement de la Lotus.

Verdict – Lotus Emeya R

Cette Emeya R à la puissance démesurée n’est certes pas la plus cohérente de la gamme. Mais elle est une vitrine, une démonstration du savoir-faire des ingénieurs maison quand il s’agit de développer un châssis capable à la fois de s’accommoder d’une puissance de folie et d’une masse pour le moins considérable. CQFD…